Pitié ! pas de « Child genius » – Petits génies – français – M6 peut trouver d’autres concepts

ce que je prédisais arrive sur nos écrans, malheureusement !

Ce matin, j’ai eu un réflexe stupide, comme beaucoup d’entre nous – j’ai  consulté mes mails sur mon smartphone.  L’un de ces mails m’a tellement énervée que j’ai raté l’entrée du parking où je me gare plusieurs fois par semaine depuis sept ans …

Ce mail m’annonçait que M6 allait adapter pour la France l’émission Child Genius .  Cette émission britannique passe depuis quelques années sur Channel 4 outre-Manche. Il s’agit de faire concourir à des tests de mémoire, de mathématiques et de culture générale des « enfants prodiges » .child genius2

Le Daily Mail a titré en 2014 « est-ce l’émission la plus cruelle de la tv ? » ; de nombreux psychologues se sont élevés contre le concept. On y voit des enfants ultra-stressés, soumis à des révisions intensives par leurs parents, fondant en larmes s’ils ne sont pas les meilleurs. On y voit le pire des parents d’enfants « surdoués » – entre autres, la mère d’Aliayah – psychologue …- qui fait porter à sa fille des semelles rebondissantes pour stimuler les ondes cérébrales, la force à ingurgiter des jus de légumes, et l’entraîne avec un chronomètre, tout en déclarant qu’elle-même et son mari sont  « aussi des génies ».

Je suis anglophile à 99.9 % – aussi pour leurs programmes télévisés, qui sont souvent risqués – mais pas forcément choquant. Que des gens veuillent se montrer nus dans la jungle, soit ; qu’ils avalent des araignées vivantes, soit ; qu’on nous montre des déjections humaines dans des tubes à essais, soit ; qu’on joue à faire maigrir en direct des obèses, et à faire grossir des anorexiques …déjà beaucoup plus difficile à accepter, mais ce sont des adultes.child genius1child genius4

Qu’on « torture » des enfants en direct, et qu’en plus on alimente tous les stéréotypes possibles sur les enfants à haut potentiel …NON

http://www.dailymail.co.uk/news/article-2715076/Cruellest-reality-TV-Brilliant-children-reduced-tears-excruciatingly-difficult-tests-gaze-Britain-s-pushiest-parents-As-backlash-grows-against-Channel-4-s-Child-Genius-parenting-expert-gives-view.html

 

http://www.dailymail.co.uk/tvshowbiz/article-3145275/Humiliating-eight-year-olds-ratings-C4-ashamed-CHRISTOPHER-STEVENS-reviews-night-s-TV.html

 

http://www.dailymail.co.uk/news/article-2722388/Child-cruelty-Viewers-fury-TV-genius-contest-left-two-boys-tears-lost-fellow-contestant.html

Si tu m’aimes …

Peut-on se lasser d’un « je t’aime » ?

Cette phrase entendue lors d’une réunion – eh oui, les psys ont de drôles de thématiques de réunion – m’a donné envie de poursuivre un peu la réflexion.

« Parler de l’amour est trop facile, ou bien trop difficile. Comment ne pas verser soit dans l’exaltation, soit dans les platitudes émotionnelles ? »[1] Me voilà donc prévenue par Paul Ricœur – je me hasarde sur un terrain miné. J’en ai conscience d’ailleurs, et ne pense nullement produire une œuvre magistrale et philosophique !

La sensation d’être aimé peut nous donner des ailes, l’impression qu’on pourrait franchir des montagnes. Qui ne désire pas être aimé ? love2

Nous savons tous qu’un enfant privé d’amour dans ses premiers mois ne peut pas se développer en temps qu’être humain. Vers la fin des années 1940, René Spitz a décrit le concept d’hospitalisme, observé sur des nourrissons élevés en institution, et donc privés d’amour parental. Malgré des soins nutritionnels et médicaux adaptés, ces enfants montraient un tableau dépressif avancé, un arrêt de leur développement, et même une régression dans les acquis intellectuels et moteurs.

L’amour est le premier lien que l’individu développe, normalement dès sa naissance. Amour- attachement d’abord, entre parents et enfant, puis amour-amitié quand l’enfant se socialise, puis amour-désir quand l’enfant devenu adolescent « tombe en amour ». Cette expression utilisée dans les pays anglo-saxons et au Québec laisse présager d’un chemin qui n’est pas forcément de tout repos….

« L’amour est enfant de Bohême, il n’a jamais connu de lois »[2], et comme « la vie de Bohême se vit sans façons »[3], l’amour vous tombe dessus sans qu’on s’y attende, l’amour se moque des convenances, de l’âge, du genre, du pays, de la couleur – personne ne peut juger une relation d’amour qui ne serait pas « comme il faut » parce qu’elle n’est pas comme les autres. L’ouverture de l’espace par le numérique nous offre un accès sans frontières au domaine des sentiments, avec les dangers d’un espace virtuel et masqué. On ne peut pas ignorer que des adolescents peuvent rencontrer des prédateurs, que des femmes vulnérables peuvent envoyer des fortunes à des escrocs, qu’au nom de l’amour des lois morales peuvent être transgressées sans sanction ou répression. A nous d’être vigilant et de ne pas se laisser prendre : on flatte votre ramage et votre plumage, mais n’oubliez pas « tout flatteur vit aux dépends de celui qui l’écoute » – nous devons savoir distinguer sentiments virtuels et réalité sentimentale. Un amour web-médié ne peut se concrétiser que par la rencontre de deux humanités.

« Si tu m’aimes, je me fous du monde entier » chante Edith Piaf. Vraiment ? Au début de l’histoire, dans la phase de cristallisation chère à Stendhal, l’état d’amour est certes idéal – je l’aime, il m’aime, nous sommes tous les deux dans notre bulle, rien ne peut nous atteindre. Et puis viennent les doutes – m’aime-t-il vraiment ? N’en aime-t-il pas une autre ? Et moi, est-ce que je l’aime vraiment ? Suis-je digne d’être aimée ?

On en vient à « Si tu l’aimes dis-lui, qu’elle est la femme de ta vie »[4]   – l’amour est plus fort avec des mots et des preuves – « l’amour est un bouquet de violettes »– cela rassure, cela (ré)conforte.violettes

Chacun d’entre nous a besoin de recevoir – et de donner – des preuves d’amour. Pas forcément à un compagnon, d’ailleurs – ça peut être des preuves d’amour- amitié, d’amour-bienveillance – des mots gentils, des actes de lien avec son entourage, ses voisins de palier, ses collègues, son animal de compagnie …Les pensées se devinent rarement, les actes tangibles demeurent le meilleur moyen de témoigner  à quelqu’un sa gratitude, son admiration, son amitié, ou son amour. Tout le monde n’est pas à l’aise avec le langage et le langage n’est pas toujours entendu ou entendable. Ainsi, « Si les objets inanimés qui rendent un son, comme une flûte ou une harpe, ne rendent pas des sons distincts, comment reconnaîtra-t-on ce qui est joué sur la flûte ou sur la harpe? Et si la trompette rend un son confus, qui se préparera au combat? De même vous, si par la langue vous ne donnez pas une parole distincte, comment saura-t-on ce que vous dites? Car vous parlerez en l’air. »[5] Pensons au destinataire du message autant qu’au sens qu’on veut lui donner.

« Quand on a que l’amour, Pour vivre nos promesses, Sans nulle autre richesse, Que d’y croire toujours ». L’amour donne des ailes – sans conteste. En écrivant cette phrase, j’ai écrit un lapsus « donne des aides » – un lapsus valide tout autant que la première idée. L’amour de l’autre permet l’ouverture au monde, apporte une richesse à la vie – richesse de sentiments, de ressentis, de sensations, de confiance en soi, de confiance en l’autre. On connaît tous ces paroles de Sartre – particulièrement adaptées à la canicule actuelle – « Alors c’est ça l’enfer. Je n’aurais jamais cru…Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le grill… Ah! Quelle plaisanterie. Pas besoin de grill : l’enfer c’est les autres. »[6] Qui n’y a pas pensé la semaine dernière dans le métro bondé, dans les embouteillages de départ en vacances, dans la foule des premiers jours de soldes…Mais le même Sartre écrit aussi « C’est là le fond de la joie d’amour, lorsqu’elle existe : nous sentir justifiés d’exister.»[7] Si l’enfer, c’est « les » autres, l’amour d’« un » autre peut être le moteur de l’existence, peut donner l’impression d’enfin avoir une justification à sa vie ; on existe dans les yeux de l’autre avant tout, et quand l’autre vous aime, tout devient plus facile. Un lien d’amour, fondé sur des sentiments et une confiance réciproque, transforme la vie et donne des ailes. Là encore, j’ai envie d’élargir cette notion à l’amour parental, à l’amour amical, à l’amour d’un animal …love1

Cependant,  parfois, le lien se resserre, et devient étouffant. « Si tu m’aimes, ne m’aimes pas » écrit Mony Elkaïm, illustrant ainsi une double contrainte – si tu m’aimes, laisse-moi ma liberté, si tu m’aimes, ne me fais pas souffrir, si tu m’aimes, laisse-moi vivre ! Si tu m’aimes, n’exige pas sans cesse ces fameuses preuves dont je parlais précédemment – si on doit les demander, elles deviennent chantage, monnaie d’échange, rançons, mais certainement plus témoignages sincères et sensibles. L’amour en devient relation comptable, la demande exigence – je t’aime, donc tu « dois » m’aimer

Et l’amour se transforme alors parfois en haine  –  «  je l’ai trop aimé pour ne le point haïr » déclare Hermione à propos de Pyrrhus. Une émotion forte ne peut se transformer qu’en émotion d’égale puissance. Et pourtant, cette haine n’arrive souvent qu’au prix d’une grande souffrance – une victoire pyrrhique, en quelque sorte. La souffrance d’avoir été déçu dans ses espérances, de s’être trompé sur celui ou celle avec qui on pensait avoir établi une relation sûre et durable, d’avoir investi dans quelque chose qui se révèle sans lendemain qui chante, sans lendemain tout court.

Et on en revient à cette idée d’argent, d’investissement- que faut-il investir dans cette entreprise de l’amour ? Pour Ricœur, “Le désir est cette espèce d’esprit d’entreprise qui monte du corps au vouloir, et qui fait que le vouloir serait faiblement efficace s’il n’était aiguillonné d’abord par la pointe du désir” . Quel capital faut-il fournir au départ pour le faire fructifier ? Doit-on chercher à faire des bénéfices, ou simplement à éviter la faillite ? Jacques Lacan disait « Aimer, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. » Là où je le rejoins, c’est qu’il est quasiment impossible d’aimer quelqu’un si on ne s’aime pas d’abord. Et s’aimer soi-même, c’est se faire confiance, se juger avec bienveillance, et se considérer comme digne d’être aimé. « S’aimer soi-même est le début d’une histoire d’amour qui durera toute une vie. »[8]IMGP0210

[1] Ricoeur, P., (2008), Amour et Justice, Paris, Points Essais.

[2] Carmen, Bizet

[3] « C’est la vie de Bohême », Bourvil, George Guétary

[4] Elsa, T’en va pas

[5] 1ère Epître de Paul aux Corinthiens

[6] Jean-Paul Sartre, Huis Clos

[7] Jean-Paul Sartre, L’être et le Néant

[8] Oscar Wilde, Phrases and Philosophies for the Use of the Young (1894)

Les je-nous du psychologue 

Avez-vous remarqué qu’il y a beaucoup de gynécologues hommes ? Et pourtant, ça ne les empêche pas d’être de très bons professionnels. Le « ça » désignant bien sûr le fait qu’ils soient dépourvus d’utérus, d’ovaires, et de la capacité d’enfanter. Ne pas avoir vécu soi-même un événement de vie ne prive donc pas de la possibilité de le soigner. C’est même ce que l’on demande aux psychologues – la neutralité, ou le « blank screen » – l’écran vide. Face aux récits de vie des patients, nous nous devons d’être  sans opinion, sans avis – sans vécu personnel ?

Et pourtant …Comment choisir autrement son thérapeute que par le contact de son humanité avec notre humanité ?  Son accueil, son écoute, ses paroles, son cabinet, voire même parfois son physique ou ses vêtements nous séduisent ou au contraire nous rebutent. La thérapie commence par la rencontre entre deux « je », qui vont devenir un « nous ». Car le travail ne peut pas être unilatéral. divan ours

En choisissant le titre de cet article, le jeu de mots m’a fait réfléchir à d’autres rencontres, celles pour lesquelles on se met « à genoux ». On se met à genoux pour parler à un enfant, ou pour caresser un animal – on se met à leur hauteur, pour ne pas les intimider, pour partager leur regard du monde, pour établir une communication d’égal à égal. On partage un moment de vie. Il y a de ça également dans la rencontre patient-thérapeute – il ne s’agit pas pour le thérapeute d’écraser le patient par sa science ou par son statut. Au contraire, à lui de se rendre le plus disponible possible – et c’est bien sûr encore plus vrai dans les thérapies d’enfants.

L’autre moment où l’on peut se mettre à genoux, c’est à l’église, ou tout simplement pour prier – du moins dans la religion chrétiennepassy. Là, nul désir d’être à égalité avec la personne à laquelle on s’adresse – il s’agit au contraire d’une indication de soumission, de reconnaissance de la puissance de Dieu face à notre impuissance d’être humain. Et pourtant, là encore, il y a un partage : souvent, une demande d’aide ou de protection, parfois, une plainte, plus rarement – on songe difficilement à dire merci – une action de grâce. Un cantique intitulé « Trouver dans ma vie ta présence » contient ces paroles « donner sans rien attendre en retour, aimer, et se savoir aimé ». Dans le cas du protestantisme, c’est en effet le présupposé – Dieu nous aime gratuitement, il n’attend rien en retour – et par là même, il nous rend capable d’aimer nos semblables. Et dans la thérapie ?

Loin de moi l’idée de comparer le thérapeute à une quelconque puissance divine. Et pourtant …Selon Irvin Yalom, dans son livre « Le bourreau de l’amour», « Bien que le public puisse penser que les thérapeutes guident les patients systématiquement et sûrement par différentes étapes de thérapie vers un but pré-connu, c’est en fait rarement le cas. Au lieu de ça, les thérapeutes hésitent souvent, improvisent et tâtonnent. L’énorme tentation de trouver la certitude par l’adhésion à une école idéologique et un système thérapeutique « bien ficelé » est traître : une telle croyance peut bloquer la rencontre spontanée et incertaine nécessaire à l’efficacité de la thérapie. » Et c’est souvent ce qu’on ressent – le patient attend souvent de nous une science infuse, une méthode miracle, un sésame qui ouvrirait toutes les portes, une solution à tous les maux. Dans une société qui va de plus en plus vite, où d’un simple clic de souris on peut avoir accès à la planète entière, il est difficile pour l’individu, surtout quand il est en souffrance, d’imaginer que le chemin va être long, qu’il va lui-même devoir trouver les clés, qu’il va être soutenu, mais qu’on ne possède pas non plus la carte magique qui mène vers le trésor des pirates. La question la pire, à mon avis, pour un thérapeute, c’est « dans combien de temps croyez-vous que je vais m’en sortir ? » Comment répondre ?

La thérapie devrait être, dans un monde idéal, un lieu où l’on « donne sans rien attendre en retour ». Ou en tout cas, pas un retour sur investissement, ni un retour par courrier express – plutôt un retour par pigeon voyageur. Pour le patient, il devrait pouvoir donner sa parole dans un cadre bienveillant et accueillant, en la libérant de manière à ce que ses traumas se dénouent au fil des mots. Et pour le thérapeute, il s’agit de donner cette écoute et cet accueil sans avoir en arrière–pensée l’idée qu’il va tel le Messie résoudre la misère du monde – et celle de son patient par la même occasion. Un autre retour qu’il est souvent difficile pour le thérapeute de ne pas recevoir est une suite, voire une conclusion – il arrive parfois qu’une thérapie s’achève sans épisode final – le patient ne revient pas, et vous n’avez plus jamais de ses nouvelles.

Toujours selon Yalom, « les thérapeutes ont un double rôle : ils doivent à la fois observer et participer à la vie de leurs patients. En tant qu’observateur, on doit être suffisamment objectif pour fournir la guidance nécessaire rudimentaire au patient. En tant que participant, on entre dans la vie du patient et on est affecté et parfois changé par cette rencontre. »

On comprend plus aisément comment l’interruption brutale d’une relation thérapeutique, comme d’ailleurs toute rupture de lien interpersonnel, peut être difficile et interroger. Là encore, pensons qu’il faut « donner sans rien attendre en retour ». J’exclue bien sûr toute considération matérielle – il est quand même particulièrement rare que les psychologues deviennent milliardaires !

La suite du cantique est-elle moins transposable ? « Aimer et se savoir aimé » – est-ce possible dans une relation thérapeutique patient-psy ?  Le français, soi-disant la langue du romantisme et de l’amour par excellence, est en fait singulièrement pauvre quant au mot « amour ». Le grec ancien nous offre  beaucoup plus de possibilités : il nous propose éros, l’amour physique et charnel, storgè, l’amour familial, philia, l’amour amitié, et agapè, l’amour désintéressé, bienveillant.

Si on prend « aimer » au sens de l’amour- éros, ce n’est bien évidemment pas applicable. Il est hors de question qu’une CVT_Le-bourreau-de-lamour_4690relation d’amour physique s’établisse entre patient et thérapeute. Si on l’entend au sens « agapè », il faut se reposer la question. Yalom – toujours lui – écrit : « Vu que les thérapeutes, tout autant que les patients, doivent se confronter aux données de l’existence, la posture professionnelle d’objectivité impersonnelle, si nécessaire à la méthode scientifique, est inappropriée. En tant que psychologues, nous ne pouvons pas simplement murmurer notre compassion et exhorter les patients à combattre leurs problèmes. Nous ne pouvons pas leur dire vous et vos problèmes. Nous devons au contraire parler de nous, et de nos problèmes, car notre vie, notre existence, seront toujours liées à la mort, l’amour, la perte, la liberté, la peur, la croissance et la séparation. Nous sommes tous dans le même bateau. »

La rencontre thérapeutique est avant tout une rencontre entre deux individualités, entre deux êtres humains qui partagent des peurs et des croyances, un système de valeurs parfois, un espace de vie toujours. Chez les protestants, n’importe qui peut prêcher lors du culte – le pasteur n’a pas le statut de représentant de l’autorité de l’Eglise comme peut l’avoir le prêtre. De même, le psychologue n’est pas le représentant d’une quelconque autorité supérieure – il a certes des connaissances théoriques que ne possède peut-être pas le patient – mais il a surtout une disponibilité psychique qu’il met au service de son patient, et une humanité qu’il partage avec lui. Il  s’agit donc bien d’amour- agapè, d’un regard bienveillant et d’un partage qui fait que le patient se sent à même d’être entendu, compris, et reconnu en tant qu’être en souffrance. L’espace thérapeutique, comme le lieu de culte, doit permettre à cette souffrance d’être exprimée, et par là même extériorisée, sans être jugée – c’est dans ce non-jugement qu’on retrouve la neutralité du thérapeute. On ne peut pas être neutre – on « est », donc par définition, on ne peut pas être « vide » ou « neutre ». Par contre, on peut offrir un accueil inconditionnel et humain.

La légende populaire veut que du psy au patient, le plus fou ne soit pas celui qu’on croit …Yalom se fait l’écho de la voix du peuple : « Cette rencontre, le cœur même de la thérapie, est une réunion attentionnée et profondément humaine entre deux personnes, l’une (en général, mais pas toujours, le patient) plus troublée que l’autre. […] La « patientalité » est partout : l’étiquette est très largement arbitraire, et dépend souvent davantage de facteurs culturels, éducatifs et économiques que de la sévérité de la pathologie. » Ce qui est vrai, c’est qu’on ne peut pas être thérapeute sans avoir soi-même travaillé sur soi, et qu’on décide souvent de travailler sur soi quand quelque chose dans sa vie va mal. J’ai entendu peu de gens dire « Tout va très bien, je vais aller voir un psy ». La thérapie systémique utilise d’ailleurs le concept de « résonance » – Mony Elkaïm, en particulier, explique que « les sentiments qui naissent chez tel ou tel membre du système thérapeutique ont un sens et une fonction par rapport au système même où ils émergent. Indiquant les ponts spécifiques qui sont en train de se constituer entre les membres de la famille et le thérapeute, ils désignent un ensemble de régions et de croyances qui méritent d’être méthodiquement explorées. » Dans une thérapie duelle, le système existe également, entre le thérapeute et son patient – et la résonance  apparaît comme le « vécu surgissant à l’intersection des constructions du monde de différents individus ou de différents systèmes humains » – vécu commun aux deux participants.

Ce qui est également vrai, et c’est là que je vais contredire Irvin Yalom, c’est qu’on ne peut pas aider quelqu’un si on est soi-même dans la souffrance. Le bon thérapeute n’est pas celui qui a eu la vie facile, ni celui qui n’a jamais eu besoin de consulter – c’est celui qui a su chercher de l’aide, et qui a pu ainsi se construire en tant qu’être humain capable d’accueillir la souffrance de l’autre sans projeter la sienne.

Pourquoi je suis psychologue et pas « coach »

Un article du Parisien de cette semaine m’a fait bondir. Il fait l’apologie du coaching pour enfants « pour ne plus souffrir dans la cour de récré, arrêter de jalouser sa petite sœur ou faire taire cette colère contre papa et maman depuis qu’ils sont séparés. » Le coaching serait une « méthode miracle qui peut lever vite les blocages là où il faut souvent six mois avec une psy ».  Et le coach, contrairement au psy, serait humain ! Si si, le coach se laisse, « embrasser et tutoyer » par ses petits patients. Et l’article de conclure que le coaching peut être « un peu onéreux » et que le coach  « doit avoir des connaissances psy ».

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Je voudrais remettre quelques pendules à l’heure – si le titre de psychologue est reconnu par l’Etat, c’est justement parce qu’on estime qu’il faut un peu plus que quelques « connaissances psy » pour aider les gens, et en particulier les enfants. Etre psychologue, c’est avant tout une vocation, une expérience personnelle de vie, mais quand même aussi un cursus universitaire, et surtout des stages de terrain encadrés par des professionnels.

En 2014, il me semble qu’il serait temps de passer au-dessus de certains clichés qui collent à la profession. Je suis donc psychologue, et j’ai des patients qui ont de 4 à 40 ans – environ. Imaginez-vous que oui, il arrive que des enfants me disent bonjour ou au revoir avec une bise, et qu’ils me tutoient. Et je n’ai jamais réussi à vouvoyer des enfants en consultation. Je ne pousse pas non plus à la consommation – si le problème peut être réglé en une séance, tant mieux ! Je ne suis pas psychanalyste, et il me semble en effet important de rester dans le concret et d’aider l’enfant à  aller mieux le plus rapidement possible. Enfin, pour ceux que cela intéresse, je n’ai pas de buste de Freud dans mon cabinet …

Accueil…

C’est l’histoire de Schéherazade et de Peter Pan…Il était une fois un enfant de 11 ans, aîné d’une famille de trois enfants. Un enfant perdu dans la forêt des Mureaux dans le 93, un enfant balloté de foyers en foyers, de maternelles en écoles, un enfant qu’on finit par qualifier d’enfant « irrécupérable ». En effet, comment s’occuper d’un enfant placé à la demande de sa mère à cause de sa violence ?  Un enfant devenu « insupportable » pour sa propre mère, qui garde les trois plus jeunes avec elle. Comment prendre soin d’un enfant qui est renvoyé de tous les établissements scolaires, car il agresse tout le monde, il frappe ses pairs, il ne reste pas assis, ne peut pas se concentrer, un enfant épris de liberté qui court, qui crie, qui volerait s’il le pouvait … Alors, cet enfant est confié à une famille d’accueil par l’Institut thérapeutique Educatif et pédagogique dont il dépend, l’institut « de la dernière chance », qui à son tour le confie à une famille d’accueil. Cet enfant renvoyé de son internat arrive chez Schehérazade, dans un foyer où se trouve déjà un enfant accueilli, Adis, du même âge et la fille de Schéhérazade, 12 ans. Au début, ce n’est pas facile pour le nouveau – un nouveau changement d’école, se réadapter à une vie en famille…et pourtant, l’enfant perdu, l’enfant « insupportable » retrouve peu à peu une stabilité. Au début, il se colle à Schéhérazade ; impossible de la quitter, de se séparer à nouveau ; aller à l’école est une nouvelle fissure dans un échafaudage déjà branlant – alors, à l’école, au foot, l’enfant reste un peu, prend sur lui, mais très vite, il faut qu’il retourne à Schéhérazade, qu’il a très vite adopté.  Chez elle, l’enfant est sage – il joue avec sa sœur d’accueil, met la table, range sa chambre, s’acclimate. Il apprend à lire – en un an, il accède à ce monde de l’écrit – la carapace se fissure peu à peu, on peut imaginer que ce nouveau climat de confiance lui permet de nouveau l’accès au langage écrit. Malheureusement, à l’école, il lui est toujours impossible de se concentrer, et une fois de plus, on se débarrasse de lui. Schéhérazade l’a donc avec elle, tout le jour durant, toute la nuit aussi …Schéhérazade, qui ne voulait surtout pas accueillir un bébé, ni un adolescent, se retrouve avec un enfant qui comme un bébé a besoin d’elle pour survivre, et comme un adolescent s’oppose pour grandir. De plus, pour Schéhérazade, l’éducation, c’est très important. Elle n’accueille que des enfants qui ont une intelligence « normale » …alors, Schéhérazade puise dans ses ressources, mais ses ressources s’épuisent …au bout d’un mois, cet enfant lui devient « insupportable », comme elle le dit et le répète ; et de cet enfant devenu insupportable …elle se débarrasse – après tout, elle n’est qu’assistante familiale, pas super woman. L’enfant ne veut pas partir …mais il n’a pas le choix …alors, pour son dernier jour…il confectionne avec son éducatrice une galette des rois, qu’il emballe soigneusement dans un emballage qu’il fabrique lui-même, et recouvre de photos, puis qu’il offre à celle qu’il avait choisi pour reine…Peter Pan retourne au Pays des enfants perdus ….