Les enfants à haut potentiel: trop sensibles pour être heureux ? (partie 1)

Les premières épreuves mesurant « l’intelligence » remontent au début du 20ème siècle, avec les tests de Binet en France et de Wechsler aux Etats-Unis, mais depuis, les conceptions de l’intelligence ont évolué, d’une approche globale vers des modèles pluridimensionnels, comme ceux de Sternberg, de Renzulli ou de Gardner.

On considère qu’il y a en France environ 2,3 % d’enfants à Haut Potentiel, la terminologie choisie pour insister sur la notion de capacités présentes chez ces enfants, capacités à développer. Ce pourcentage correspond à des enfants identifiés par un QIT supérieur à 130 obtenu au WISC IV, ce qui est déjà un parti pris. Si on considère un seuil de 145, on obtient seulement 1% d’enfants. D’autre part, le WISC-IV est peu sensible pour les enfants très jeunes, pour les très hauts potentiels, pour les enfants non francophones et pour les enfants présentant des difficultés d’apprentissage. A l’école primaire, les enfants HP sont plutôt bien acceptés par leurs pairs, voire même très populaires. Les problèmes commencent davantage au collège, même si plusieurs études montrent que les adolescents modérément à haut potentiel sont bien acceptés par leurs pairs, populaires et  plutôt extravertis (Dauber & Benbow, 1990)

Gardner (1997) distingue huit domaines d’expression de l’intelligence allant des intelligences verbo-linguistique et logico-mathématique à l’intelligence naturaliste. Il distingue également l’intelligence interpersonnelle « capacité centrale à repérer ce qui distingue les individus […] cette capacité permet à un adulte compétent de déceler les projets et les désirs de l’autre, même s’ils sont dissimulés » et l’intelligence intrapersonnelle, « connaissance introspective de soi : le sentiment d’être vivant, l’expérience de ses émotions, la capacité à les différencier puis à les nommer, à en tirer des ressources pour comprendre et orienter son comportement », deux domaines particulièrement importants pour le cadre de notre étude.

Selon Zenasni et Mouchiroud (2006), les enfants à haut potentiel présenteraient une intelligence émotionnelle significativement plus importante que les enfants tout venant, et que l’intelligence émotionnelle et l’intelligence verbale contribueraient ensemble mais distinctement à « une meilleure planification des buts personnels. » Cependant, les études sont trop limitées jusqu’à présent pour pouvoir généraliser ces données.

Zenasni et Mouchiroud font également état de traits de personnalité présents chez les enfants à haut potentiel, notamment une grande intensité affective définie comme « la tendance des individus à vivre ou ressentir intensément les différentes expériences émotionnelles ». Celle-ci serait liée à une hypersensibilité exacerbée par rapport à celle des enfants tout-venant chez qui elle est déjà présente. Cette hyper-sensibilité n’est pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser, favorable à la socialisation de ces enfants : nmême si l’enfant fait preuve d’une grande compréhension du domaine social, il peut être considéré par ses enseignants comme présentant des troubles de comportement social et étant mal accepté par ses pairs. Ainsi, Mendaglio (1995) présente cette hyper-sensitivité comme incluant quatre concepts – la conscience de soi, la prise de distance, l’expérience émotionnelle et l’empathie – insiste sur le fait que cette hyper-sensitivité ne s’exprime pas forcément envers les autres, ce qui explique donc dans une certaine mesure les troubles de socialisation des enfants HP. Edmunds & Edmunds (2005) suggèrent au contraire que les enfants HP posséderaient une grande intuition, qui leur permettrait de mieux comprendre les nuances de la communication interpersonnelle.

 

Dans une approche psycho-pathologique des enfants « surdoués », Lebihain et Tordjman (2006) relèvent certains troubles fréquemment rencontrés chez les enfants à haut potentiel, notamment une forte anxiété, des tendances à la dépression et des troubles de l’image de soi. « Comme l’ont souligné certains auteurs tels que Lebovici et Braunschweig (1967), l’immaturité affective peut s’associer à une angoisse mal élaborée. Au regard de leurs grandes compétences intellectuelles, les aménagements défensifs sont souvent trop fragiles pour contenir psychiquement l’angoisse issue de la conflictualité interne. » Les enfants HP ont souvent conscience d’être différents, dans leurs intérêts, leurs créations artistiques, leurs relations sociales, leurs réactions face à l’école et leurs ambitions. Cela les rend fragiles et vulnérables, car ils doivent fournir un effort important d’adaptation afin de réduire les conflits entre ses besoins personnels et les exigences sociétales. (Cuffaro & Bates, 2007).

Selon Silverman (1994) et Piechowski (1997), les enfants HP ressentent différemment les émotions, à la fois qualitativement et quantitativement: cette dissonance serait source de problèmes à la fois sur le plan cognitif et sur le plan émotionnel, et elle se manifesterait également par des troubles de socialisation. Colangelo (2000) souligne qu’ils seraient très tôt capables de ressentir intensément les émotions, mais n’auraient pas le cadre cognitif nécessaire pour les interpréter – comme par exemple la possibilité de les mettre en relation avec des expériences passées – et qu’ils en deviendraient hypersensibles émotionnellement et hyper-réactifs aux critiques. Certains enfants HP, du fait de leur hyper-sensibilité, peuvent se sentir rejetés, soit dans des situations où ce n’est pas du tout le cas (Whitmore, 1980), soit parce qu’ils réagissent de manière intense à un incident et sont l’objet de moqueries de la part de leurs pairs (Silverman, 1994). 

Trop ou juste assez ? Les adolescents et le mou

Souvent, les deux termes sont prononcés sur un ton de reproche … « tu ne peux pas te lever du canapé, faire quelque chose ? Qu’est-ce que tu peux être mou ! »

Mais là n’est pas mon propos …je veux parler de cette attirance que les adolescents ont pour tout ce qui semble avoir cette propriété de « mollesse ». Très peu pour eux les fauteuils rigides du salon parental – qu’on coupe la tête aux Louis XVI ! Ils préfèrent les poires en tissu, ou mieux encore, les oreillers géants qui épousent parfaitement leurs corps lorsqu’ils jouent à la console ou regardent la télé. Ou encore quand ils lisent leurs mangas – vous voyez, ces petits volumes à couverture molle qui ont presque remplacé les bandes dessinées aux si dures couvertures.

Ces corps, d’ailleurs, moulés pour suivre la mode dans des jeans et des tops si mous qu’ils ne laissent plus rien à l’imagination. Les jeans slims déjà serrés, toujours portés par les garçons qui ne peuvent guère se mettre aux nouveaux collants, ces leggings, et maintenant ces treggings …qui autrefois restaient dans les cours d’aérobic et qui maintenant se promènent en pleine rue. Pour les autres, ceux qui cherchent à cacher la mollesse de leurs bourrelets – imaginaires ou réels – ou pour les jeunes filles formées trop tôt qui souhaitent éviter les regards trop appuyés, la mode molle a également des solutions : les baggys et les sweats over-size, qui ne laissent rien deviner de l’individu qui les porte – là encore, ces vêtements mous plissent, s’avachissent et se déforment au gré des lavages et à l’usure du temps.

D’autres domaines semblent touchés par cette « mollitude ». Prenez par exemple l’alimentation – le fast food, après tout, est peut être rapide – c’est encore à voir à l’heure du déjeuner, où deux malheureux employés débordés sont pris d’assaut par une horde de lycéens affamés – mais il est surtout le royaume du mou. On peut argumenter de la mollesse du steak haché – qui pourtant devrait l’être – mais qui niera celle du petit pain rond, des tomates détrempées, de la feuille de salade errante, et des frites cuites et recuites dans leur bain de friture ? Et en dessert, les favoris, loin devant les quartiers de pommes en petits sachets bien acérés, restent bien les milk shakes et les sundaes …du mou à la limite du liquide.

Quand ce n’est pas au fast food, les purées, les gourdes de compotes, les crèmes desserts, les diverses boissons au café des grandes chaînes américaines…du mou, encore du mou pour flatter les palais adolescents. N’oublions pas le plaisir ultime du doigt plongé dans le nutella – nutella qui peut aussi être étalé mollement sur des tranches de pain de mie bien élastique – un goûter qui a bien souvent remplacé la baguette croustillante et les carrés de chocolat croquants. Et pour le nombre toujours grandissant de jeunes végétariens, le summum de la mollesse est probablement les mixtures de lentilles, quinoa, couscous, et tofu qui font leurs délices.

 

Si nos ados ont délaissés les doudous de leurs premières années il y a bien longtemps, on constate quand même dans leur entourage proche la présence de multiples animaux en peluche, soit dans les chambres, soit en porte-clés, soit accrochés aux sacs et aux cartables – des attributs mous associés à des réceptacles souvent devenus informes, le cuir ou la toile ayant dû supporter les kilos de livres et de cahiers infligés à des sacs au départ conçus pour le porte-monnaie et le rouge à lèvre de ces dames.

 

Alors pourquoi donc cette attirance ? Après avoir constaté la situation, voilà le moment des hypothèses. J’aimerais ici défendre la cause de la mollesse, et l’associer non pas à la paresse, mais à la souplesse. L’adolescence est une période de transition où le cerveau grandement malléable évolue pour devenir adulte. Pour que cette évolution soit optimale, il faut que celui-ci puisse prendre l’empreinte de la société, engranger les apprentissages et se modeler au gré de la personnalité en devenir – la souplesse est donc ici un besoin primaire. Cette soi-disant « mollesse » fait aussi partie de la personnalité caméléon qui il faut bien le reconnaître est indispensable pour survivre dans la jungle scolaire…cette mollesse permet l’adaptation au milieu, adaptation nécessaire à la survie de l’espèce.

Contre la dureté de nos sociétés et de nos lois, l’adolescent se forme un cocon de mollesse, plus protecteur encore que la carapace du homard doltoien , un cocon qui amortit les chocs du passage à la vie adulte.

Histoire de vie, histoire de genre…

L’identité de genre chez l’enfant se construit par l’interaction de trois dimensions : le sexe biologique, le milieu social dans lequel l’enfant naît et la représentation personnelle qu’a l’enfant de lui-même, ou comment il va intégrer les autres dimensions dans son développement. Au tout début, les embryons mâles et femelles sont identiques : les testicules des garçons apparaissent à partir de la 6ème semaine, les ovaires des filles à partir de la 10ème semaine seulement.  Les parents, les pairs, et la société en général aident l’enfant à se définir en tant que garçon ou fille.

Une étude d’Intons-Peterson et Reddel (1984) a étudié les questions posées aux parents annonçant par téléphone à leur famille ou à des amis la naissance d’un enfant. Dans 80% des cas, la première question posée était pour demander le sexe de l’enfant…

Parole de parent :

« – Pourquoi vous n’avez jamais voulu dire si c’était un garçon ou une fille ?

– Je t’explique, parce que j’ai des gens qui m’ont dit j’attends un garçon ou une fille machin et je trouve que quand la naissance arrive il n’y a plus la magie de l’enfant qui arrive – quand on sait et que la date est fixée parce que c’est une césarienne, bah, il y a la naissance et voilà quoi

En France, on peut distinguer le sexe du fœtus à l’échographie autour de la 12ème semaine dans la majorité des cas. En Inde, une loi interdit aux médecins de révéler le sexe du fœtus aux parents, pour éviter des avortements de fœtus masculins. La plupart des parents veulent savoir :

Parole de parent

« –  à chaque échographie j’ai insisté pour qu’on ait les deux prénoms, parce que avant ma naissance, Maman …l’écho n’existait pas, elle en a pas eu, et mon père était sûr que c’était un garçon qu’il appellerait Lucas, elle avait eu le pendule – c’est un garçon, le ventre en avant – c’est un garçon, et puis juste avant la naissance Maman lui a dit « et si c’est une fille, est-ce qu’on peut l’appeler Danuta ? » et mon père a pas fait trop attention il a dit oui oui… »

Et certains préfèrent quand même avoir la surprise :

Parole de parent

« – la dernière fois qu’on s’est vues, tu ne savais pas si c’était un garçon ou une fille…

– oui, on voulait la surprise. […]

Plusieurs études montrent que les adultes – et les parents en particulier attribuent des stéréotypes aux nourrissons. Ainsi, une étude de Karraker (1995) menée sur 40 couples de parents de filles ou de garçons demandait aux parents d’évaluer leurs enfants sur plusieurs échelles – la force physique, la finesse des traits, la robustesse et la féminité/masculinité. Malgré la ressemblance des nourrissons, les parents – ici pères et mères confondus – ont répondu que les bébés filles étaient plus faibles, avaient des traits plus fins, étaient plus délicates et plus féminines…

Personnellement,quand on m’envoie des photos, j’aurais du mal à dire la différence si on ne me l’avait pas annoncé avant…

alors …fille ou garçon ?

Un bébé sans genre ?

Au mois de mai dernier, les journaux anglais ont publié le « cas Storm ». Storm, quatre mois, est le troisième enfant d’une famille de Toronto, après deux garçons, Jazz, cinq ans, avec des couettes, une boucle d’oreille rose et des robes roses à paillettes, et Kio, deux ans, avec des cheveux mi-long et des leggings. Ils ont décidé d’élever leur troisième enfant comme « genderless » – « sans genre » jusqu’à ce qu’il soit en âge de « choisir », et à part les deux sages-femmes et les deux frères du bébé, personne ne sait si c’est un garçon ou une fille. Même les grands-parents ont reçu un faire-part «nous avons décidé de ne pas révéler le sexe de Storm pour le moment – un hommage à la liberté et au choix. » Le couple souhaite laisser l’enfant « découvrir par lui-même ce qu’il veut être » et le père déclare « nous avons remarqué que les parents prennent beaucoup trop de décisions pour leurs enfants – c’est odieux ! » La mère déclare: « que le monde entier sache ce qu’il y a entre les jambes du bébé est malsain, dangereux et voyeuriste. ». Le bébé est habillé en rouge et utilisent le pronom « she » (elle) mais « avec le ‘s’ entre parenthèses ».

Le Dr Beresin, psychiatre, explique qu’ « élever un enfant ni comme une fille ni comme un garçon crée en quelque sorte un monstre. Cela prépare le terrain pour des troubles identitaires ». Un autre psychiatre américain, le Dr Koplewicz, trouve ce comportement inquiétant et particulièrement délétère pour les deux autres enfants obligés de garder le secret. En 2009, un couple suédois avait déjà annoncé qu’ils élevaient leur enfant de deux ans, Pop, comme « neutre ». (Leonard, 2011) et en 2012, les médias britanniques révèlent également un cas en Angleterre, suite à la publication par la mère d’une vidéo de l’enfant sur Youtube. (Greenhill, 2012).