Selon Gross (2002), on considère en général qu’il est bénéfique pour l’enfant d’avoir des amis, pour son estime de soi, son indépendance, et sa socialisation. Les enseignants ont tendance à penser qu’il s’agit d’un processus naturel, et qu’un enfant sans amis est « coupable » d’être différent. Or, les recherches montrent que le manque d’amis ne vient pas tant de l’individu mais des différences entre celui-ci et le milieu dans lequel il interagit : « la solitude ne vient pas du fait d’être isolé, mais de l’incapacité à communiquer aux autres ce qui vous semble important, ou d’opinions que les autres considèrent comme irrecevables…si quelqu’un sait plus de choses que les autres, il devient solitaire ». (Jung, cité par Gross, 2002)
L’étude de Gross (2002) montre que la recherche d’amis durant l’enfance évolue en 5 phases : un partenaire de jeu, quelqu’un avec qui parler, quelqu’un qui aide ou qui encourage, quelqu’un avec qui on partage – intimité et empathie, et enfin ce qu’elle appelle « l’abri sûr »[1] – confiance, fidélité et acceptation inconditionnelle. D’autres études montrent que pour les enfants tout-venant, entre 4 et 7 ans, l’enfant un partenaire de jeu pour partager des jouets et des activités, et quelqu’un qui peut les aider à se défendre. Les enfants plus âgés – 10 ans et plus – recherchent des partenaires avec des centres d’intérêt communs, avec lesquels ils peuvent échanger des pensées et des sentiments intimes et qu’ils peuvent respecter et aimer. Plus les enfants grandissent, et plus ils introduisent la notion de réciprocité, d’interdépendance et de durée dans leurs amitiés (Selman, 1981). Cependant, ces différents stades sont corrélés à l’âge mental, étant atteints plus tôt par les enfants HP, la différence étant surtout marquée en maternelle et en primaire. Cette différence entre enfants HP et enfants tout venants est également plus marquée pour les QI très élevés (plus de 160) et pour les filles. (Gross, 1993)
Si l’enfant HP ne trouve pas de partenaire de communication à son niveau, il aura tendance à s’isoler ou à être considéré comme anti-social, et donc à perdre les bénéfices de l’interaction avec ses pairs. Il sera donc incapable de traduire dans son comportement les théories comprises et acquises de la socialisation (Roedell, Jackson & Robinson, 1980)
Cependant, considérer que l’enfant HP ne peut être à l’aise que avec des camarades de jeu plus âgés serait ignorer la dyssynchronie caractéristique de ces enfants. Ainsi, leurs âges intellectuels, sociaux, émotionnels, physiques et chronologiques sont différents, et par exemple, un manque de maturité émotionnel peut être un obstacle à l’amitié avec un pair plus âgé, ou un manque d’intérêts communs.
Kline et Short (1991) trouvent que la confiance en soi et l’auto-perception des capacités des filles HP chutent graduellement du primaire au lycée. Ils montrent qu’en 4ème, les adolescentes HP sont moins confiantes en elles-mêmes et moins populaires que les adolescentes tout-venant. Callahan, Cunnigham et Plucker (1994) montrent que les filles, davantage en recherche de conformité avec leurs pairs, ont tendance à cacher leurs capacités. De nombreuses recherches confirment que les filles pensent qu’être HP est un inconvénient sur le plan social, à cause de réactions négatives de leurs pairs. (Reis, 2002) Notamment, les collégiennes HP sont perçues par leurs pairs comme tristes ou de mauvaise humeur, et ont plus de problèmes psychosomatiques que les garçons HP. (Luftig, 1990)
Selon la plupart des études anglo-saxonnes (Cross & Coleman, 1993), une majorité des adolescents à haut potentiel considère leur intelligence comme un avantage pour la réussite dans leurs études, mais voit également ce potentiel comme un handicap dans leur interaction avec leurs pairs. Coleman et Cross définissent le SGP (Stigma of Gifted Paradigm/ Le paradigme du stigmate du haut potentiel). Selon ce paradigme, les adolescents à haut potentiel considèrent que ce potentiel est vu par leurs pairs comme un facteur différentiel, et donc peut devenir dans certaines circonstances un facteur de stress qui complique leurs relations sociales.
Ces adolescents vont donc développer des stratégies pour agir sur ce facteur de stress, par exemple en choisissant de ne pas montrer leur haut potentiel. Cette stratégie est particulièrement utilisée par les pré-adolescentes HP, chez qui le désir d’être populaire prend souvent le pas sur la volonté de réussir académiquement, elles parviennent plus facilement à se faire accepter. (Silverman, 1993).
Les filles à haut potentiel se heurtent encore plus que les garçons aux stéréotypes sociaux. Ainsi, la jeune fille HP, quand elle est critiquée pour ses trop grandes sensibilité, introversion, intensité, ambition ou même aisance verbale, aura souvent honte d’elle-même et tendance à cacher ses capacités. (Noble, 1995) .Etant souvent plus douées pour traiter les informations émotionnelles de leurs pairs (Kerr, 1997), elles vont, pour pallier le risque d’être ostracisées, avoir tendance à ne pas faire preuve de capacités de leadership – admirées chez les garçons HP mais critiquées chez les filles – et à se fondre dans la masse pour être populaire. Pour être acceptées, elles vont plutôt aider leurs pairs que tenter d’assimiler de nouveaux savoirs. (Silvermann, 1993).
[1] Ecclésiaste, 6 :14