On m’a dit que c’était la rentrée …ah bon ? Vraiment ? Chic alors ! Les rayons de fournitures scolaires des hypermarchés, qui sont pleins depuis au moins deux mois, vont donc laisser la place aux chocolats de Noël…
Pour moi, ça ne va pas changer grand-chose. Certes, au lieu de tapoter frénétiquement sur mon Blackberry du fond de mon transat, je vais pouvoir répondre à mes mails confortablement installée dans ma chaise de bureau. Le volume risque bien sûr d’augmenter légèrement. Disons qu’au lieu de recevoir une cinquantaine de mails par jour, je vais passer à une centaine …sans oublier les Bbms, bien sûr, mais ça, c’est plus rapide …Et maintenant que Miss Teen m’a montré comment faire les Smileys, je vais épater tout le monde !
Les quelques jours au bord de la mer m’ont été bénéfiques : j’ai réussi à boucler le dossier X…et le dossier Y…et le dossier Z…
A propos de Miss Teen, d’ailleurs, une séance shopping se prépare – plusieurs, devrais-je dire. La première avec les copines, et son argent de poche. La deuxième, avec Maman adorée, qui refuse de prêter son Amex depuis qu’elle a été utilisée pour payer « le p’tit top trop la classe » qui coûtait la bagatelle de 210 euros…
Car la rentrée avec les ados, ce n’est plus la trousse Mickey, le cartable Pokémon, les cahiers et les quatre protèges cahiers. Dès son plus jeune âge, on demande à l’enfant de faire preuve de sérieux, de « bien travailler à l’école » et surtout de « rentrer dans le moule ». Quel parent n’a pas été confronté à la liste de rentrée demandant que son petit chéri, rentré en CM1, ait dès le lendemain en sa possession deux cahiers grand format grands carreaux, un protège cahier bleu, un protège cahier rouge, une règle graduée de 30 cm – souple, sinon c’est trop dangereux – un compas – serait-ce moins dangereux ? – 12 crayons de couleur, un crayon 2H, un crayon 2B…je vous épargne la suite, si vous lisez ces lignes, vous avez probablement déjà subi l’épreuve de la queue dans la librairie surchauffée, entourée de gamins hurleurs et mal élevés – ceux des autres, bien sûr, pas le vôtre – hurlant « Ma-man ! Je veux la trousse Titeuf ! »…
Le besoin de conformité commence dès l’entrée à la maternelle ; si votre fille n’a pas le cartable Charlotte aux fraises ou le cahier de texte Totally Spies, elle risque de se retrouver au ban de sa classe…donc de la société. Pire encore, vous allez passer pour un parent indigne ! Et votre enfant, lui, va se retrouver pris entre deux feux : d’un côté, il doit à tout prix ne pas décevoir son parent, et de l’autre, il doit acquérir un statut qui montrera à la société qu’il a été bien élevé !
Maintenant que mon ado – est une ado, justement, il n’y a plus que moi qui cède aux offres promotionnelles de 15 stylos pour le prix de 14,5 …Miss Teen a d’autres exigences. Pas question de transporter ses classeurs dans le sac Gérard Darel de l’an dernier …
L’éducation de l’enfant, comme l’explique l’historien Philippe Ariès, est le produit d’une société. En France, on apprend à son enfant à se conformer aux normes de la société, et à s’adapter. La socialisation de l’enfant passe par l’obéissance à des règles sociales, que l’enfant doit intégrer. De plus, l’avenir de l’enfant est déterminé par sa réussite scolaire, qui elle-même garanti une réussite sociale. Les parents font leur maximum pour procurer à leur enfant cette réussite scolaire, qui les mènera vers des filières d’excellence à la française.
En matière de système éducatif, la France est souvent citée en exemple. Les Français ont « la culture de l’excellence ». Et cependant, dans les enquêtes internationales sur l’éducation, nous obtenons de piètres résultats. Ainsi, dans l’enquête PISA 2006, par exemple, à laquelle ont participé plus de 400 000 élèves de 15 ans représentant 57 pays, dont les trente pays de l’OCDE.
En ce qui concerne les performances en sciences, nous nous situons loin derrière des pays comme la Finlande, le Canada, le Japon, et même l’Estonie…
Et pourtant, tout le monde sait qu'on ne va pas à l'école - au collège, au lycée, à l’université, au bureau …pour apprendre ou pour travailler. On y va pour LES COPAINS ET LES COPINES. D’ailleurs, si votre ado daigne répondre à votre question semi-angoissée : « Alors, comment ça s’est passé ? Tu as de bons profs ? », il y a toutes les chances que la réponse ressemble soit à « Trop cool, j’suis dans la classe de Charlotte, et Nathalie, et Marie-Amélie, même si y a le mec trop relou de l’an dernier… », soit à « C’est la cata, Charlotte elle est même pas dans ma classe, Nathalie elle est dans le demi-groupe du jeudi et Julien, tu sais, Julien, le trop beau, il fait allemand (traduire : pas dans ma classe) ». Sinon, vous pouvez aussi obtenir un bof, un haussement d’épaules et un silence catatonique qu’il vous reste à interpréter …
Une fois l’étape « fournitures » dépassée, vous voilà devant une autre épreuve, celle de l’emploi du temps. Je ne comprends pas pourquoi personne n’a jamais pensé à faire un jeu télévisé sur le thème de la rentrée…avec des épreuves de difficulté croissante. Par exemple, première épreuve, le grand ménage et la lessive, et le rangement des bagages…deuxième épreuves, les courses de rentrée – remarquez, il me semble que dans Intervilles, il y avait quelque chose de similaire…troisième épreuve, l’organisation de l’emploi du temps. Dans cette épreuve-là, il y a plusieurs niveaux – pour un seul enfant, pour deux, pour trois…Ensuite, vous compliquez un peu, avec des gages : « Votre aîné(e) entre au collège, le (la) deuxième est encore à l’école, et le (la) troisième fait sa première année de maternelle » ; ou encore « Ca y est ! Votre aîné(e) a quitté le nid – il (elle) est partie à Lilles/Lyon/Rennes pour sa première année d’école de commerce ; il (elle) rentre le week end, et vous vous consacrez à son bien être – mais sans négliger votre lycéen(ne). »
Dans l’épreuve de l’emploi du temps, vous avez aussi les fameuses activités extrascolaires. Quand les deux parents travaillent, il leur est souvent difficile de passer du temps avec leurs enfants au quotidien. Parfois, ils confient aux grands-parents le soin d’accompagner leurs enfants dans leurs activités extrascolaires, mais actuellement, nombreux sont les jeunes grands-parents dynamiques qui travaillent également ! « Maman, tu pourrais garder Manon ce soir ? » « Désolée, chérie, j’ai un conseil d’administration. » De plus, les seniors sont aujourd’hui des cibles privilégiées pour les tours opérateurs, et grands consommateurs de loisirs culturels : cinéma, théâtre, musées, associations, clubs de sports. Les seniors d’aujourd’hui ne sont plus les grands-parents d’hier.
Je m’adresse là à toutes les mères de famille qui culpabilisent de ne pas emmener leurs enfants davantage dans les musées, au théâtre… parents débordés, vous avez le droit de ne pas être toujours disponibles ! Par rapport aux années 1990, les parents investissent en moyenne une demi-heure de plus pas mois dans les devoirs à la maison de leurs enfants : dix heures et demie pour la mère, quatre heures pour les pères. Ce sont aussi souvent les mères qui ont la responsabilité du « para-scolaire » : occuper le temps libre de leurs enfants de la manière la plus « intelligente » possible.
En 2006, plus de 80% des femmes vivant en couple et ayant un ou deux enfants étaient actives. Avec trois enfants, tous âgés de trois ans ou plus, l’activité féminine est moins fréquente (72 %), mais elle a nettement progressé par rapport au début des années quatre-vingt-dix où elle était inférieure à 50 %. Selon l’enquête « relations familiales et intergénérationnelles» (ERFI-GGS), les hommes et les femmes qui exercent une activité déclarent aussi souvent rencontrer des difficultés pour articuler leur vie familiale avec leur vie professionnelle : respectivement 42 et 43 %d’entre eux déclarent soit être rentrés trop fatigués pour s’occuper des tâches domestiques,soit avoir eu du mal à assumer leurs responsabilités familiales car ils ont passé beaucoup de temps au travail, et cela à plusieurs reprises dans le mois.
Vous allez donc vous retrouver confrontée à des choix cornéliens. Certes, il n’est pas question d’abandonner le piano ni la danse classique de Miss Teen. Cependant, elle préfère la guitare électrique et le hip-hop …s’en suivent d’âpres négociations : okay pour la guitare, mais en plus du piano. D’accord pour le hip-hop, mais il faut que le cours soit à une distance respectable de l’appartement pour qu’elle puisse y aller et rentrer seule. Quand à l’aîné, qui a décidé qu’il avait « trop de trucs, Maman, cette année, j’te jure, c’est une année de ouf … », vous finissez par décider ensemble de faire une pause dans le programme judo – tennis – batterie – japonais accéléré. Avec le risque d’une surchauffe de l’écran du salon quand les devoirs manqueront à l’appel…Remarquez, la télévision, ça peut aussi être très utile …
Brève de vie …
– Zut, zut, et re-zut !
Je m’abstiens d’employer les mots plus vulgaires qui me viennent aux lèvres, Petit Poussin – 7 ans et Grand Gaillard – 15 ans – rôdant dans les parages. Après tout, ce ne sont que deux heures de travail qui viennent de disparaître de mon écran à cause d’une fausse manipulation…Grand Gaillard fait brutalement irruption dans la pièce, poursuivi par Petit Poussin, que j’entends crier de sa voix d’enfant de chœur « Rend le moi , you mother fucker sonafabitch … » et je tairai ici la suite pour ménager les cœurs fragiles. Dès que j’eus retrouvé mon souffle – coupé par tant de vulgarité dans la bouche de celui qui me semble être à peine sorti des couches, je m’insurge :
– Mais voyons, où as-tu appris des horreurs pareilles ?
– A la télé, voyons, Maman, répond Grand Gaillard. Tu sais, mon prof d’anglais, il nous a conseillé de regarder les films en VO….On a regardé Skins, tu sais la nouvelle série qui passe sur Canal.
« Skins » ? Inconnu au bataillon. « Desperate Housewives », certes… »Sex and the City », bien sûr… »Friends »…j’ai regardé la dernière saison en une nuit . Mais « Skins » ?
– Oui maman, renchérit Petit Poussin, même que c’est vachement trop bien, y le mec, il doit se faire une fille, et même qu’il achète de la came…
– C’est super niveau culture anglaise, Maman, j’t assure. C’est des acteurs pas pro, des jeunes quoi, comme nous, et puis c’est leur vie, c’est super éducationnel comme truc. D’ailleurs, y faut qu’j fasse un exposé dessus pour mon cours d’anglais !
Je passe sur « éducationnel » : peut-être est-ce un de ces néologismes utilisés dans les médias qui fera bientôt son apparition dans le dictionnaire. A mon époque, on se contentait d’ « éducatif », voire « enrichissant »…D’ailleurs, je me suis récemment demandée si je ne devrais pas reprendre quelques années d’école primaire. Lors d’une de mes errances sur Internet, je me suis retrouvée sur le site de l’Education Nationale, où j’ai pu parcourir des plans de cours destinés à une classe du niveau de Petit Poussin. J’ai donc pu découvrir l’objet d’un des cours de français. Il s’agissait, je cite, d’ « Inscrire la complexité historique dans un possible imaginaire avec un projet d’écriture en maîtrise de la langue, tel est l’objectif de cette démarche, qui permet à l’élève de cycle 3 de développer une posture de chercheur-critique en histoire et d’écrivain en herbe en éducation littéraire. »
Après avoir relu plusieurs fois cet énoncé sibyllin, j’en ai cherché la signification….Posture…celle de mes ados n’est certes pas excellente, mais je préfère compter sur leur kinésithérapeute et le sport pour l’améliorer…je ne suis pas certaine d’ailleurs de souhaiter pour eux une « posture de chercheur », cette image évoquant pour moi le savant perpétuellement penché sur ses éprouvettes ou ses grimoires. Quant à la maîtrise de la langue, je serai heureuse de voir mes enfants maîtriser avant tout la grammaire et l’orthographe…