Un post en lien avec l’émission d’aujourd’hui de France Inter « On est fait pour s’entendre » (voir ci-dessous)
Depuis 1950, année où Erikson invente le terme de « crise d’identité » dans son ouvrage Enfance et Société, les psychologues, les sociologues, les neurobiologistes s’intéressent à l’adolescence surtout pour tenter de trouver les racines du « mal-être » adolescent. Les troubles du comportement alimentaire comme l’anorexie sont l’une des manifestations de ce mal-être, en particulier chez les jeunes filles. En augmentation dans la population mondiale, ces troubles, qui touchaient auparavant en grande majorité des jeunes filles blanches d’environ 15 à 18 ans de milieux sociaux favorisés, se répandent dans toutes les catégories ethniques, dans tous les milieux sociaux, chez les garçons, et commencent de plus en plus tôt. Des chiffres de 2008 situent entre 0.9% et 1.5% la prévalence de l’anorexie chez les femmes (0,3 à 0,5% chez les hommes), avec des formes faibles deux à dix fois plus fréquentes, et des pics autour de quatorze et de dix-huit ans.[1] Cette généralisation entraîne de nouvelles hypothèses et de nouvelles recherches sur la maladie, en particulier son inclusion dans la catégorie des addictions. 
L’un des paradoxes majeurs de l’anorexie reste dans l’identification de l’objet addictif : s’agit-il de la nourriture, ou bien de la faim, du manque ? Dans les deux cas, l’objet ne semble pas correspondre aux phases de l’addiction (Fernandez & Sztulman, 1998). Comment peut-on envisager la phase d’initiation – la rencontre avec le produit – pour quelque chose que le sujet consomme ou expérimente dès sa naissance ?
Szmukler et Tantam (1984) considèrent que la meilleure définition de l’anorexie mentale n’est pas une névrose ou une psychose, mais une addiction à la famine. Certains remettent en question le terme même d’anorexie, argumentant qu’il n’y a pas dans cette maladie une perte véritable d’appétit, mais bien une lutte constante contre la faim. Cette restriction volontaire joue alors le rôle de substitut toxicomanique, alors même que la sensation de faim de plus en plus prégnante peut aller jusqu’à la douleur. (Guilbaud, 2009).
Peel (1977) considère que le sujet devient dépendant d’une expérience. Il définit l’addiction comme « une activité compulsive ou un comportement qui empêche l’individu de se consacrer aux autres aspects de sa vie, jusqu’au point où le comportement devient la source majoritaire de renforcement émotionnel et d’identité pour le sujet ». Dans cette définition, on doit alors intégrer l’anorexie comme un non-comportement ou une non-action, ou considérer que « se taire ou ne rien faire sont des actions » (Widlöcher, 1990).
Enfin, l’un des critères de définition de la conduite addictive mentionnée dans les critères de Goodman (1990) est ‘la perte de la maîtrise de soi » ou perte de contrôle. Ne peut-on pas justement argumenter que l’anorexie est tout sauf une perte de contrôle, puisqu’il s’agit justement d’une pathologie de l’hyper-contrôle ?
Duverger et al. (2004) insistent sur le message sociétal paradoxal que reçoit l’adolescent aujourd’hui. Il est à la fois abreuvé de messages l’incitant à consommer, voire à sur-consommer, et d’injonctions à « maîtriser nos faims et surmonter nos coupables addictions » afin de parvenir à un idéal corporel de minceur. La famille actuelle ne lui offre plus de moyen de s’opposer à des interdits qui se font plus flous. L’adolescent ne trouve plus le soutien nécessaire à son autonomisation dans sa famille, d’où le recours à d’autres conduites de dépendance comme forme de réassurance, mais il reste confronté à la nécessité de se différencier pour se construire une identité propre.
Selon Skaarderud (1993), « L’anorexie est une communication paradoxale […] la crise anorexique ressemble aux trous noirs du cosmos : elle aspire à soi toute l’énergie de l’entourage et tend à recruter de nouveaux membres pour le système pathologique. »
L’âge de l’adolescence est un âge de redéfinition du rôle social de l’individu, un âge de transformations corporelles et cérébrales, un âge où les rôles sexués s’affirment dans un environnement qui peut paraître hostile. Erikson (1966) conclut que « seul un sentiment d’identité qui s’accroît graduellement, fondé sur l’expérience de santé sociale et de solidarité culturelle à la fin de chaque crise majeure de l’enfance, promet cet équilibre périodique dans la vie humaine qui donne un sentiment d’humanité par l’intégration des stades du moi. »
Certains adolescents peuvent développer un sentiment de vulnérabilité et d’anxiété, de mal-être, un sentiment d’inadéquation envers les normes sociales, et d’une même tentative de retrouver le contrôle d’eux-mêmes. Alors que chez les garçons on retrouve en général des troubles d’agression envers l’extérieur, chez les jeunes filles, on observe une prévalence des troubles du comportement alimentaires. Selon Balasc-Variéras (2005), « Parmi les pathologies addictives qu’on rencontre à l’adolescence, l’anorexique, dans son usage toxique de la faim, en est à plus d’un titre un paradigme. En effet, par son refus d’abandonner sa subjectivité, […] l’anorexique redouble le défi de la position adolescente. »
[1] Rapport du Sénat n°439, session extraordinaire de 2007-2008.
Ce sujet des troubles du comportement alimentaire très bien traité – c’est assez rare – par Flavie Flament et son invitée le Docteur Sylvie Rouer-Saporta ; un premier témoignage un peu long, mais suivi d’une analyse efficace, et de pistes pour l’entourage
http://www.rtl.fr/culture/bien-etre/sortir-de-l-enfer-de-l-anorexie-c-est-possible-7776450382
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