Le défi de trop ?

Les réseaux sociaux se font l’écho de bien des défis qui en effet défient l’entendement. Ils varient des plus dangereux comme le Neknomination – boire le plus d’alcool possible en un minimum de temps, le Fire challenge – tout simplement se transformer en torche vivante, le Condom challenge – s’enfiler un préservatif sur la tête – aux soi-disant humanitaires, comme le Ice bucket challenge – où se renverser un seau d’eau glacé sur la tête permet de faire des dons à des associations.

Le dernier en date est le A4 WAIST CHALLENGE, qui a déjà fait le tour du monde. Une jeune fille devrait avoir la taille aussi mince qu’une feuille A4. ..Il semble que cette nouvelle lubie vienne de Chine …

http://www.dailymail.co.uk/news/peoplesdaily/article-3492962/Here-comes-tiny-waist-challenge-New-social-media-trend-sees-women-measuring-waists-A4-paper.html

http://www.leparisien.fr/laparisienne/sante/adolescentes-le-defi-minceur-a4-inquiete-21-03-2016-5646063.php#xtref=https%3A%2F%2Fwww.google.fr%2F

Quelqu’un qui a un peu de logique et des bases d’optique devrait trouver la solution …Il suffirait de s’éloigner de cette fameuse feuille et de la tenir à bout de bras …

Ou encore, comme Alice, de tester quelques potions magiques …irscl20154

Mais au-delà de ces plaisanteries, le sujet est grave. Un membre du parlement britannique, Joan Bakewell, ancienne présentatrice, a suscité les foudres du public la semaine dernière en expliquant que l’anorexie n’était qu’un signe de narcissisme, et que dans les camps en Syrie, il n’y avait pas d’anorexie… (http://www.dailymail.co.uk/news/article-3489997/Anorexia-narcissism-says-Joan-Bakewell-called-hunger-young.html)

Signe de narcissisme, certes – mais dans quel sens ?? Si le narcissisme est l’amour de l’image de soi, et par extension du soi, les jeunes et moins jeunes anorexiques, femmes et hommes, en manquent cruellement. Or, ce narcissisme est nécessaire à la construction du soi, et à l’acquisition de la confiance en soi. Joan Bakewell a présenté ses excuses, peut-être aurait-elle dû plutôt préciser ses propos. Car si l’on sait que l’anorexie est un trouble grave, et qu’il n’est pas apparu surfant sur l’apparition d’une civilisation de l’image où selfies et réseaux sociaux prolifèrent , il est certain que ce sont des circonstances aggravantes, surtout pour les plus jeunes.

Ce qui me semble particulièrement dangereux, c’est que ces défis de la maigreur existent depuis longtemps sur les blogs pro-anas, qui vantent un mode de vie anorexique. A tel point qu’il existe même des wannarexiques – des jeunes filles qui choisissent de s’affamer …Il existait déjà des messages comme « allongez-vous par terre, si vous êtes plus épaisse qu’un Bic, vous êtes grosse ». La « mode » du thigh gap – le creux entre les cuisses – a déjà été très médiatisé. Si le défi « A4 » apparaît sur les réseaux sociaux, c’est un signe que la société a du retard sur d’une part le contrôle de ses réseaux, et d’autre part sur la compréhension de la vulnérabilité de ces adolescent (e )s.ANOR

Sans parler des modes de prise en charge de cette maladie qui restent encore trop rares, et trop tardifs.

Vice-versa – vers les TCA ?

Quand j’ai entendu parler du film Vice-Versa – à peu près il y a un an – j’étais contente. Le sujet me paraissait intéressant, et même utile. Un bon outil de travail avec les enfants.

Seule la traduction du titre me posait problème – Vice-versa, quel rapport avec le contenu du film ? Au contraire, Inside Out reflétait bien ces émotions qu’on garde en soi, et qui dans le film s’affichent au grand jour.

Et maintenant qu’il est sorti, je suis déçue, en colère même. Une fois de plus, les média véhiculent des schémas propices au développement des troubles du comportement alimentaire chez les enfants.  Des études ont déjà prouvé que de très jeunes enfants associent « gros » avec « méchant, mauvais » – et « maigre » avec « beauté, gentillesse » (voir dans mon prochain livre).vice versa

Là, c’est le cinéma qui s’en mêle – dans Vice-Versa, la Tristesse est représentée par une grosse petite fille mal attifée, et la Joie par une petite fille chic et mince …Ou comment dire aux enfants qu’être gros, c’est mal …

Etrangement, je me suis toujours représenté la tristesse comme une grande dame famélique …au corps décharné …

« L’anorexie, ce n’est pas un caprice »

Une autre bonne émission de France Inter – Service Public, cette fois sur l’anorexie et les troubles du comportement alimentaire

Vraiment bien menée, avec Philippe Jeammet – ils abordent aussi l’anorexie masculine, les sites ….

beaucoup de thèmes dont je parle dans mon prochain livre – sortie en Septembre 2015 !

http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=1112917 ANOR

L’anorexie, une addiction paradoxale

Un post en lien avec l’émission d’aujourd’hui de France Inter  « On est fait pour s’entendre » (voir ci-dessous)

Depuis 1950, année où Erikson invente le terme de « crise d’identité » dans son ouvrage Enfance et Société, les psychologues, les sociologues, les neurobiologistes s’intéressent à l’adolescence surtout pour tenter de trouver les racines du « mal-être » adolescent. Les troubles du comportement alimentaire comme l’anorexie sont l’une des manifestations de ce mal-être, en particulier chez les jeunes filles. En augmentation dans la population mondiale, ces troubles, qui touchaient auparavant en grande majorité des jeunes filles blanches d’environ 15 à 18 ans de milieux sociaux favorisés, se répandent dans toutes les catégories ethniques, dans tous les milieux sociaux, chez les garçons, et commencent de plus en plus tôt. Des chiffres de 2008 situent entre 0.9% et 1.5% la prévalence de l’anorexie chez les femmes (0,3 à 0,5% chez les hommes), avec des formes faibles deux à dix fois plus fréquentes, et des pics autour de quatorze et de dix-huit ans.[1] Cette généralisation entraîne de nouvelles hypothèses et de nouvelles recherches sur la maladie, en particulier son inclusion dans la catégorie des addictions. ANOR

L’un des paradoxes majeurs de l’anorexie reste dans l’identification de l’objet addictif : s’agit-il de la nourriture, ou bien de la faim, du manque ? Dans les deux cas, l’objet ne semble pas correspondre aux phases de l’addiction (Fernandez & Sztulman, 1998). Comment peut-on envisager la phase d’initiation – la rencontre avec le produit – pour quelque chose que le sujet consomme ou expérimente dès sa naissance ?

Szmukler et Tantam (1984) considèrent que la meilleure définition de l’anorexie mentale n’est pas une névrose ou une psychose, mais une addiction à la famine. Certains remettent en question le terme même d’anorexie, argumentant qu’il n’y a pas dans cette maladie une perte véritable d’appétit, mais bien une lutte constante contre la faim. Cette restriction volontaire joue alors le rôle de substitut toxicomanique, alors même que la sensation de faim de plus en plus prégnante peut aller jusqu’à la douleur. (Guilbaud, 2009).

Peel (1977) considère que le sujet devient dépendant d’une expérience. Il définit l’addiction  comme « une activité compulsive ou un comportement qui empêche l’individu de se consacrer aux autres aspects de sa vie, jusqu’au point où le comportement devient la source majoritaire de renforcement émotionnel et d’identité pour le sujet ». Dans cette définition, on doit alors intégrer l’anorexie comme un non-comportement ou une non-action, ou considérer que « se taire ou ne rien faire sont des actions » (Widlöcher, 1990).

Enfin, l’un des critères de définition de la conduite addictive mentionnée dans les critères de Goodman (1990) est ‘la perte de la maîtrise de soi » ou perte de contrôle. Ne peut-on pas justement argumenter que l’anorexie est tout sauf une perte de contrôle, puisqu’il s’agit justement d’une pathologie de l’hyper-contrôle ?

Duverger et al. (2004) insistent sur le message sociétal paradoxal que reçoit l’adolescent aujourd’hui. Il est à la fois abreuvé de messages l’incitant à consommer, voire à sur-consommer, et d’injonctions à « maîtriser nos faims et surmonter nos coupables addictions » afin de parvenir à un idéal corporel de minceur. La famille actuelle ne lui offre plus de moyen de s’opposer à des interdits qui se font plus flous. L’adolescent ne trouve plus le soutien nécessaire à son autonomisation dans sa famille, d’où le recours à d’autres conduites de dépendance comme forme de réassurance, mais il reste confronté à la nécessité de se différencier pour se construire une identité propre.

Selon Skaarderud (1993), « L’anorexie est une communication paradoxale […] la crise anorexique ressemble aux trous noirs du cosmos : elle aspire à soi toute l’énergie de l’entourage et tend à recruter de nouveaux membres pour le système pathologique. »

L’âge de l’adolescence est un âge de redéfinition du rôle social de l’individu, un âge de transformations corporelles et cérébrales, un âge où les rôles sexués s’affirment dans un environnement qui peut paraître hostile. Erikson (1966) conclut que «  seul un sentiment d’identité qui s’accroît graduellement, fondé sur l’expérience de santé sociale et de solidarité culturelle à la fin de chaque crise majeure de l’enfance, promet cet équilibre périodique dans la vie humaine qui donne un sentiment d’humanité par l’intégration des stades du moi. »

Certains adolescents peuvent développer un sentiment de vulnérabilité et d’anxiété, de mal-être, un sentiment d’inadéquation envers les normes sociales, et d’une même tentative de retrouver le contrôle d’eux-mêmes. Alors que chez les garçons on retrouve en général des troubles d’agression envers l’extérieur, chez les jeunes filles, on observe une prévalence des troubles du comportement alimentaires. Selon Balasc-Variéras (2005), « Parmi les pathologies addictives qu’on rencontre à l’adolescence, l’anorexique, dans son usage toxique de la faim, en est à plus d’un titre un paradigme. En effet, par son refus d’abandonner sa subjectivité, […] l’anorexique redouble le défi de la position adolescente. »

[1] Rapport du Sénat n°439, session extraordinaire de 2007-2008.

Ce sujet des troubles du comportement alimentaire très bien traité – c’est assez rare – par Flavie Flament et son invitée le Docteur Sylvie Rouer-Saporta ; un premier témoignage un peu long, mais suivi d’une analyse efficace, et de pistes pour l’entourage

http://www.rtl.fr/culture/bien-etre/sortir-de-l-enfer-de-l-anorexie-c-est-possible-7776450382

Anorexie chez les enfants – pas seulement un titre choc de la presse féminine, mais un véritable problème

grandir ou « s’élargir » …

Les médias, et en particulier la presse féminine, s’emparent d’un sujet grave sur lequel les spécialistes de l’enfance se penchent déjà depuis un certain temps. Je vous livre ici quelques données cliniques sur le phénomène.

On associe souvent les troubles du comportement alimentaire, et en particulier l’anorexie, à l’adolescence des jeunes filles, puisque c’est chez les femmes entre 15 et 35 ans qu’on trouve la majorité des cas de TCA. Or ces troubles sont de plus en plus précoces, en particulier dans les sociétés occidentales. Les médecins sont confrontés à des enfants en « phase de latence » (6-12 ans) qui souffrent de TCA.

Les critères diagnostiques de l’anorexie infantile sont quasiment les mêmes chez l’enfant que chez l’adolescent, à l’exception bien sûr de l’aménorrhée présenté par les jeunes filles anorexiques pubères.

On prend donc en compte comme critères :

–         le refus de maintenir le poids au niveau du poids minimum normal pour l’âge et la taille

–         la peur intense de prendre du poids ou de devenir gros alors que le poids est inférieur à la normale

–         l’altération de la perception du poids ou de l’image de son propre corps, avec influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi et déni de la gravité de la situation.[1]

l’amaigrissement peut être plus rapide que chez les adolescents plus âgés, car le taux de masse grasse des enfants et faible et ils peuvent perdre près d’un kilo par semaine. Cependant, la perte de poids n’est pas forcément un objectif verbalisé. Les préoccupations de l’enfant tournent davantage au départ sur des maux physiques – des difficultés à avaler, des douleurs abdominales, des sensations nauséeuses. Par contre, les comportements peuvent alerter les parents : l’enfant ne veut pas acheter de vêtements plus grands, ou se regarde souvent dans la glace par exemple. Cependant, certains enfants ont la même aspiration de la minceur que les adolescents, et l’exprime alors sous une forme enfantine « je ne veux pas m’élargir ».

Chez les garçons, l’amaigrissement est plus important, même avec un IMC de départ plus élevé, et les préoccupations tournent plutôt autour de la taille et de la musculature.

Le comportement alimentaire en lui-même de ces pré-adolescents anorexique diffère de celui de leurs aînés par plusieurs points. Tout d’abord, des comportements comme la préparation de repas pour les autres membres de la famille, la lecture de livres sur la nutrition, le choix des courses sont du fait de l’âge des malades quasi inexistants. Il y a également peu de vomissements provoqués et de prise de laxatifs, du moins dans les premières années de la maladie, l’anorexie se présente surtout sous la forme restrictive.

De plus, la prise alimentaire ne se focalise pas sur la restriction calorique mais plutôt sur la restriction des quantités – facilitée à la cantine scolaire par la présence des camarades qui peuvent partager le repas – et des apports hydriques. Les apports hydriques eux-mêmes sont restreints, car l’enfant est sensible à la notion corporelle de remplissage et de lourdeur, et recherche avant tout le vide.

Comme leurs aînés, ils présentent des comportements rigides et stéréotypés, et plus le patient est jeune et plus il fait preuve de rigidité et de perfectionnisme. Une hyperactivité physique est souvent associée, en particulier dans des sports qui demandent beaucoup d’implication et qui ont une exigence d’esthétique corporelle de la maigreur, comme la danse classique ou la gymnastique. Ainsi, Davison ( 2002) a montré dans des études que les jeunes pratiquantes de sports à visée esthétique s’inquiétaient de leur poids dès l’âge de 5 ans, et surtout à l’âge de 7 ans. On observe également chez la plupart d’entre eux une hyperactivité intellectuelle, présente souvent avant l’apparition des premiers symptômes.

A la restriction alimentaire peuvent s’ajouter d’autres symptômes visant à apaiser l’angoisse : des besoins compulsifs de se laver, de ranger, des prises de risques, des comportements auto- agressifs (grattage frénétique de croûtes de cicatrices, de boutons, arrachage de cheveux…), ou hétéro-agressifs. L’enfant a souvent des idées tristes, voire suicidaires et une faible estime de lui-même.


[1] Le Heuzey, M-F., Les troubles du comportement alimentaire chez les 6-12 ans, www.anorexie-et-boulimie.fr, 10/2011.